Hintergrund

Ignaz Paul Vital Troxler (1780–1866) – Redécouvrir un grand Suisse et un grand Européen

Les années commémoratives ont leurs bons côtés, surtout lorsqu’elles concernent un personnage historique célèbre en son temps, comme dans le cas du médecin, anthropologue, philosophe, professeur de droit, pédagogue et homme politique Ignaz Paul Vital Troxler, mort à Aarau il y a 150 ans, le 6 mars 1866

Des ouvrages majeurs ont été consacrés à ce grand Helvète [1], à ce grand Suisse [2] : au moins douze thèses, dont trois ces dernières années, traitent de sa pensée et de ses idées dans les différents domaines de la vie qu’il a abordés ; une biographie de 1100 pages retrace sa vie [3] : et ses écrits politiques les plus importants, contenant plus de 1200 pages, ont été publiés et commentés [4]. Actuellement, une équipe de chercheurs de l’Université de Bâle travaille sur une nouvelle édition analytique de ses principaux ouvrages philosophiques et médicaux.

C’est injustement qu’Ignaz P.V. Troxler est resté jusqu’à aujourd’hui largement inconnu du public suisse et européen. Même un bref regard jeté sur sa vie et son œuvre révèlent l’extraordinaire parcours de Troxler et son importance exceptionnelle.

C’est Troxler qui,

  • dès son plus jeune âge, animé d’un puissant amour pour sa patrie, a consacré toute sa vie d’adulte au développement du système étatique et démocratique de la Suisse (“La liberté de la patrie fut mon premier amour”),
  • Ce fut Troxler qui fut nommé secrétaire du préfet de son canton d’origine à l’âge de 18 ans et l’a accompagné aux réunions du conseil exécutif de la République helvétique [5],
  • Ce fut Troxler qui après des études en sciences naturelles, en philosophie [6] et en médecine à Iéna, où il obtint son doctorat en ophtalmologie à l’âge de 23 ans [7] publia ensuite plusieurs articles scientifiques, dont certains sont encore cités, au moins en partie, dans la littérature ophtalmologique actuell [8],
  • Ce fut Troxler qui, entre 25 et 29 ans, a écrit cinq traités scientifiques sur l’essence et le principe du vivant, en se concentrant sur l’homme et sur une médecine considérée dans sa dimension philosophique, et a ainsi, “penseur précoce”, posé les bases de ses travaux philosophiques ultérieurs [7],
  • Ce fut Troxler qui, à l’âge de 30 ans, a refusé une nomination à la Faculté de médecine de l’Université de Berlin et, plus tard, d’autres nominations dans des universités allemandes afin de pouvoir consacrer toutes ses forces aux besoins de sa patrie,
  • Ce fut Troxler qui à l’âge de 31 ans, a développé avec son ouvrage anthropologique “Regards sur l’essence de l’homme” une étude philosophiquement novatrice et remarquable, qui incita Goethe à la prendre en considération et à la commenter,
  • Ce fut Troxler qui, à 35 ans, s’est rendu avec sa jeune famille à Vienne sans mandat officiel pour faire entendre sa voix en faveur d’une Suisse indépendante et démocratique lors du Congrès européen, ce qui contrastait fortement avec les objectifs de restauration que visait la représentation officielle de la Suisse,
  • Ce fut Troxler qui, en tant que professeur au lycée de Lucerne, créa ses propres manuels pour son enseignement et rédigea, bien que non-juriste, une “Philosophische Rechtslehre” (théorie philosophique du droit) qui suscite aujourd’hui encore un intérêt considérable [9],
  • Ce fut Troxler qui a publié, dans une revue qu’il a lui-même fondée, trois essais fondamentaux sur le droit constitutionnel, la nature de la représentation populaire, la liberté de la presse et les concepts de base du système représentatif,
  • Ce fut Troxler qui, sans formation pédagogique préalable [10] a démontré en tant que professeur de la jeune élite lucernoise et argovienne un talent pédagogique remarquable, a suscité l’enthousiasme et l’espoir chez ses élèves en leur transmettant une vision éthique de l’organisation sociale et de son évolution, et a ainsi façonné une génération de politiciens progressistes,
  • Ce fut Troxler qui rédiga des textes profonds sur l’éducation et la politique éducative, qui peuvent encore aujourd’hui faire référence. [11],
  • avec son projet de constitution et sa proposition d’introduire un système bicaméral pour le Parlement fédéral [12] a préparé la forme de gouvernement et la culture politique qui assureront la stabilité et la neutralité de la Suisse dans les périodes turbulentes au tournant du XIXe et du XXe siècle.

Ce qui est particulièrement frappant dans la personnalité de Troxler, c’est son universalité, tant dans son univers intellectuel que dans ses actes. Médecin, philosophe, pédagogue, politicien: Troxler était tout à la fois. Dès l’âge de 14 ans, il s’est engagé en politique (“le jeune ami du peuple”, “le petit patriote”) [13] et il continuera à le faire jusqu’à la fin de sa vie (Sa publication “Neujahrsgruss an die schweizerischen Eidgenossen und ihre Bundes- und Ständebehörden“ Il écrivit ses œuvres philosophiques les plus importantes alors qu’il travaillait comme médecin de campagne à Beromünster et comme enseignant à Aarau. Il multiplia les interventions politiques importantes, comme lors de son voyage au Congrès de Vienne en 1815 à titre individuel, ou celles en faveur d’une organisation du Parlement fédéral selon un système bicaméral en 1848, en tant que professeur de philosophie. Philosophe, médecin, pédagogue populaire, constitutionnaliste, politicien : dans le cas de Troxler, ces domaines d’activité apparaissent comme des parties d’un tout, dont les différentes dimensions sont dépendantes les unes des autres et se complètent. L’universalité de Troxler échappe à une évaluation habituelle, fondée sur des critères spécialisés.

Les services rendus par Troxler à la Suisse démocratique et fédéraliste moderne reposent essentiellement sur sa combativité politique. Après la chute de Napoléon et la réorganisation de l’Europe qui en a résulté, son engagement total visait à empêcher un retour aux systèmes de gouvernement pré-révolutionnaires prônant une restauration de l’ordre ancien, corporatifs et oligarchiques dans les cantons. Ce faisant, il s’est battu exclusivement par le biais de la parole et de la plume, selon ses propres termes “avec les armes de la lumière”, c’est-à-dire mû par des motivations éthiques découlant d’une pensée claire et d’une action responsable.

Une fois les fruits de son travail reconnus comme propriété commune de l’État suisse, l’ancien professeur de philosophie à l’Université de Berne et « cerveau » politique de la nation, autant célébré que controversé et combattu, reçut de moins en moins d’attention et tomba dans l’oubli, encore de son vivant. L’œuvre la plus importante de sa vie en termes politiques, son combat inébranlable et désintéressé en faveur de la mise en place d’un cadre politique et sociale déterminant pour l’avenir démocratique de la Suisse moderne, fut oubliée.

Le 150e anniversaire de la mort d’Ignaz Paul Vital Troxler a offert au monde de la recherche et à la politique une occasion bienvenue d’examiner de plus près cette importante personnalité de notre histoire, de prendre conscience de son héritage intellectuel et de s’interroger sur la pertinence actuelle et de la profondeur de certains de ses messages. L’Association Ignaz P.V. Troxler, fondée à l’automne 2017, s’efforce de poursuivre le travail et d’en mettre les résultats à la disposition du public.

[1] Wolfgang von Wartburg: Die grossen Helvetiker. Bedeutende Persönlichkeiten in bewegter Zeit. Novalis 1997
[2] Hans Rudolf Schweizer: Ignaz Paul Vital Troxler, in: Grosse Schweizer und Schweizerinnen. Gut Verlag 1990
[3] Emil Spiess: Ignaz Paul Vital Troxler. Der Philosoph und Vorkämpfer des schweizerischen Bundesstaates, dargestellt nach seinen Schriften und den Zeugnissen der Zeitgenossen. Francke Verlag 1967
[4] Adolf Rohr: Ignaz Paul Vital Troxler. Politische Schriften in Auswahl. Francke Verlag 1989
[5] Max Widmer: Ignaz Paul Vital Troxler, S. 24f, Verlag Rolf Kugler, Oberwil bei Zug 1980
[6] bei F. W. J. von Schelling, J.G. Fichte und G.W.F. Hegel
[7] Peter Heusser: Der Schweizer Arzt und Philosoph Ignaz Paul Vital Troxler (1780–1866). Seine Philosophie, Anthropologie und Medizintheorie. Dissertation Universität Basel, Verlag Schwabe, 1984
[8] z.B. peripheral fading (“Troxler effect”)
[9] Marc Winiger: Evolution und Repräsentation: I.P.V. Troxlers System der rechtlichen und politischen Einheit im Kontext der Philosophie des deutschen Idealismus. St. Gallen 2011, und Lukas Gschwend: Philosophische Rechtslehre der Natur und des Gesetzes mit Rücksicht auf die Irrlehren der Liberalität und Legitimität, von Doctor Troxler. Neu herausgegeben und kommentiert. Königshausen und Neumann, 2006
[10] die Verehrung, die ihm von Seiten seiner jugendlichen Schüler zukommt, sucht seinesgleichen; vgl. dazu: «Die Bittschrift von Troxlers Schülern» in: Max Widmer, Hans E. Lauer: Ignaz Paul Vital Troxler, Verlag Rolf Kugler 1980, Seite 110ff.
[11] dazu: Willi Aeppli: Geistiges Schweizertum. Paul Vital Troxler. Aufsätze über den Philosophen und Pädagogen, Verlag Zbinden 1929, und Alfred Wohlwend: I.P.V. Troxlers Gedanken über Erziehung und Unterricht, Dissertation 1948, Universität Zürich
[12] I.P.V. Troxler: Die Verfassung der Vereinigten Staaten Nordamerikas als Musterbild der Schweizerischen Bundesreform, Schaffhausen 1848 (37 Seiten, auszugsweise in: Rohr [4] [13] nach Troxlers autobiografischem Fragment, in Rohr [4] , sowie Andreas Dollfus: Ignaz Paul Vital Troxler. Geistiger und politischer Erneuerer der Schweiz. Novalis Verlag 2005